La fête du troupeau

Publié le par Le Vilain Johannais

Lorsque je m'éveillai, le soleil approchait du zénith. Il me fallut quelques secondes pour me rappeler où je me trouvais. J'ignorais combien de temps j'étais resté assoupi au pied de cet arbre. Lentement, je m'étirai et je me levai afin de reprendre ma route. Je regagnai le chemin, de l'autre côté du talus, et je repris ma marche vers le village.

Au bout de quelques minutes, il me sembla percevoir un mélange de musique et de clameurs, au loin. S'il y avait une fête, c'était tant mieux, car il y aurait certainement de quoi manger, et j'avais l'estomac dans les talons. Peu après, je commençai à sentir le fumet de grillades, et je ne tardai pas à distinguer une colonne de fumée s'élevant dans le ciel, au milieu des maisons. Le festin se déroulait probablement sur la place centrale, comme c'est souvent de coutume dans les petites bourgades.

À mesure que je m'approchais des premières habitations, les clameurs se faisaient de plus en plus perceptibles, et je pouvais distinguer des rires au milieu de ce joyeux brouhaha.

Lorsque j'arrivai à l'entrée du village, je fus accueilli par deux femmes vêtues de grands tabliers à carreaux. Celles-ci me saluèrent avec entrain, et me proposèrent une brochette de viande, que j'identifiai comme étant du porc.

- Mon brave Monsieur, goûtez-moi donc ça ! Ça vient de mon élevage, dites m'en donc des nouvelles !

Je goûtai le morceau de viande que la première femme me tendait, et je le trouvai très tendre, surtout après ma longue marche.

- C'est étrange, cela me rappelle un peu du gibier, au goût. Vous dites que c'est de votre élevage, pourtant ?

La seconde femme éclata de rire.

- C'est parce que c'est un mâle, et que, contrairement à la plupart des éleveurs, Carole ne les stérilise pas. Tu vois, Carole, ça donne un goût fort, qu'il a dit, le Monsieur. Tu devrais les castrer, tes mâles, que j'te dis !

- Mais je ne peux pas m'empêcher de trouver ces pratiques cruelles...

- Vous savez, intervins-je, dans l'élevage de bêtes, cela se fait depuis des siècles. Ce n'est pas plus cruel que l'abattage, au fond. Mais au fait, puis-je savoir en quoi consiste la fête qui a lieu aujourd'hui dans votre village ?

- Dame ! C'est la fête du troupeau ! Tous les éleveurs du village offrent une de leurs bêtes pour le grand festin. Le midi, on fait des grillades, et les non éleveurs apportent des légumes, des salades de riz pour l'entrée ou des tartes pour le dessert. Et le tantôt, on fait des rillettes et du pâté, qu'on mange encore chauds tous ensemble le soir.

- On fait ça tous les ans, au 17 août, depuis des générations !

- C'est étrange, je n'avais jamais entendu parler d'une telle fête.

- C'est parce que c'est une tradition propre à notre village, expliqua Carole avec fierté. Mais entrez donc dans le bourg ! Il faut que vous voyiez les décorations de la Grand'Place !

Non sans les avoir remerciées, je progressai vers la source des chants populaires au son des accordéons et des flûtes traversières. Chaque villageois que je croisais me saluait joyeusement et m'invitait à déguster qui un morceau de viande, qui une part de tarte. Je me régalais.

La place centrale était noire de monde. Une troupe de musiciens attirait la foule ; quelques couples dansaient. Dans un des coins de la place étaient alignés six barbecues autour desquels s'affairaient pas moins de douze préposés aux grillades. Je m'approchai d'eux et constatai qu'ils ne chômaient pas ! Régulièrement, des hommes et des femmes apportaient de nouveaux morceaux de viande à faire griller. Tous semblaient très sympathiques et, voyant que j'étais un étranger, m'adressaient quelques mots chaleureux et me proposaient de manger un morceau. Bientôt, je ne pus faire autrement que refuser, tant j'avais le ventre plein.

L'après-midi s'avançait, et je n'avais aucune envie de reprendre ma route, d'autant plus que j'avais commencé à me lier d'amitié avec une jeune fille prénomée Sarah et dont les parents étaient éleveurs. Nous nous étions trouvé une passion commune pour l'observation des oiseaux de la forêt, et je ne vis pas le temps passer. Pourtant, le soleil poursuivait inlassablement sa course dans le ciel, et, alors que je réalisais soudainement que le crépuscule était proche, je me dis que je resterais bien passer la nuit là. Sarah m'informa qu'il n'y avait pas d'auberge, ni encore moins d'hôtel, dans le village, mais elle m'annonça en souriant que je serais le bienvenu chez elle, la chambre de son frère étant inoccupée depuis qu'il s'était marié deux ans auparavant. J'acceptai avec plaisir l'invitation.

Comme la tradition l'exigeait, nous mangeâmes des tartines de pâté et de rillettes encore chauds sur du bon pain frais pour le repas du soir, le tout arrosé du même petit vin de pays que celui que j'avais siroté toute l'après-midi. Je savourai une fois de plus tout ce que l'on me servit, et très vite je sentis le sommeil me gagner. Sarah s'en aperçut, et nous nous éclipsâmes.

Ma tête me tournait un peu, mais je marchais droit. Sarah et sa famille habitaient à dix minutes à pied du bord du village, dans une petite ferme paisible. Elle me montra ma chambre et se retira pour elle-même aller dormir. Je me déshabillai et, à peine glissé dans le lit, je m'endormis comme une masse.

Je me réveillai au milieu de la nuit. Le silence nocturne était troublé par des cris d'animaux. En tendant l'oreille, je trouvai que ces plaintes ressemblaient à des lamentations. Je me tournai de l'autre côté, et me rendormis.

Le lendemain matin, je fus doucement réveillé par le sourire de Sarah, dans l'embrasure de la porte. Je me levai, m'habillai, et je descendis prendre le petit déjeuner dans la cuisine, où je fis connaissance avec ses parents. On me servit un bol de lait ainsi que des biscuits maison. Je me rendis compte que j'avais perdu l'habitude du lait de ferme, dont le goût me surprit. Après avoir discuté quelques minutes avec les différents membres de la famille, j'annonçai que j'allais prendre congé, ayant encore de la route devant moi. J'acceptai toutefois la proposition de prendre une douche avant de partir.

Tandis que je me douchais, j'entendis un frôlement provenant du côté de la porte. Une feuille de papier avait été glissée par en-dessous. Alors que je me séchais, je la ramassai et je lus les mots qui y avaient été inscrits : "Je t'attends à l'orée du bois. Je viens avec toi. Sarah". Surpris, je restai songeur quelques minutes. Haussant les épaules, je m'habillai et fourrai le billet dans ma poche.

Je descendis pour remercier les parents, qui m'annoncèrent que Sarah avait dû partir pour le village, où elle avait des courses à faire, et je sortis. Je pris le chemin de la forêt. En passant devant un bâtiment en pierres d'où s'échappait une odeur forte, je ne pus m'empêcher de m'approcher pour jeter un coup d'œil aux cochons de l'élevage des parents de Sarah, non sans avoir une petite pensée pour leurs semblables dont j'avais fait bonne chère la veille. Je percevais l'agitation au sein de la bâtisse. Avisant un volet en bois peint offrant une large interstice, j'allai me placer devant afin de regarder les animaux à l'intérieur. Ce que je vis me remplit d'effroi. Des humains. Hommes, femmes, enfants. Nus et sales. Comme des bêtes.

Je restai pétrifié face à ce spectacle sordide, et je me sentis pris d'une nausée. Soudain, je sentis une forme me sauter sur le dos et s'agripper à moi. La voix de Sarah me parvint au milieu de mon cauchemar, entrecoupée de sanglots :

- Viens, emmène-moi loin d'ici ! Les gens sont fous, dans ce village, fais-moi sortir de là !

 

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
haha sérieux en fait le lire une deuxième fois c'est trop génial<br /> excellent, excellent, je t'aime maxime
Répondre
E
<br /> Je suis vraiment désolé, j'aime beaucoup ce genre de texte mais je l'avais vu dès le 4ème paragraphe et du coup je l'ai lu d'une façon vraiment blasée<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Mon Dieu. Je suis glacée d'effroi xD Maxime, si je ne dors pas bien, tu auras de mes nouvelles !<br /> (soit dit en passant, la chute assez brutale de ton texte me rappelle le recueil de contes de Villiers de l'Isle-Adam, Contes Cruels, que je suis en train de lire. Certains récits valent vraiment<br /> le coup d'oeil... !)<br /> Bon sur ce, bravo pour cet article super bien écrit, je me suis complètement laissée happer :O et à bientôt, j'espère ! :D<br /> <br /> <br />
Répondre